retour à la liste des articles

 

LA VALEUR DES RITES

 

I - DEFINITIONS

A - VALEUR

A.1 - Les rites ont-ils une efficacité ?

a - Atteignent-ils le but visé ?

b - Produisent-ils des résultats non visés ?

A.2 - Les rites ont-ils une " honorabilité " ?

B - RITES (difficulté de définir ce terme)

B.1 - De façon générale

B.2 - Dans les sociétés " traditionnelles " (le rite en ethnologie)

B.3 - Dans les sociétés modernes

Nota : 1°) Lien entre rites archaïques et rites modernes ?

2°) Comment situer les rites religieux modernes (en particulier : chrétiens)

3°) Panorama de la diversité des rites dans nos sociétés :

(rites de passage, de sociabilité, de purification, de magie, de religion, de l’inconscient)

II - LE PROBLEME

A - RAPPEL DE QUELQUES THEORIES

A.1 Ceux pour qui les rites des sociétés traditionnelles sont dépourvus de sens.

A.2 Ceux qui attribuent une fonction à ces rites.

B - POINT DE VUE PERSONNEL PROPOSE : L’AMBIVALENCE DES RITES

B.1 Aspects positifs

a - au point de vue de l’efficacité visée

1°) les rites archaïques

2°) les rites modernes

b - au point de vue des résultats obtenus

1°) bénéfice pour la vie sociale

2°) bénéfice pour le temps vécu

3°) bénéfice pour " l’ouverture " de l’homme

B.2 Aspects négatifs

a - ritualisme,

b - conservatisme

c - exclusion

d - laideur (?)

e - comportements agressifs, dégradants

f - névrose obsessionnelle

CONCLUSION : DU BON USAGE DES RITES

III - APPENDICES : LES RITES CHRETIENS

 

LA VALEUR DES RITES

I - DEFINITIONS

Commençons par définir les termes pour mieux cerner le problème. Que faut-il donc entendre par :

1°) la valeur (dans ce cas là : valeur des rites)

2°) les rites

A - VALEUR

Ce mot peut recouvrir ici deux types de problèmes.

A.1 - les rites ont-ils une efficacité, une utilité ?

Sans doute est-il opportun de distinguer ici deux sortes de questions :

a - les rites obtiennent-ils l’efficacité qu’ils sont censés poursuivre ?

Les hommes qui les pratiquent atteignent-ils le but qu’ils affirment viser à travers eux ?

b - les rites procurent-ils des résultats non visés ?

Bref, les rites remplissent-ils une fonction (soit positive, soit négative) ?

A.2 - les rites ont-ils une " honorabilité " : sont-ils conformes à la dignité de l’homme (même s’ils ne sont qu’amusants ou inoffensifs), la favorisent-ils ? Ou, au contraire, ne risquent-ils pas, dans certains cas, d’être dégradants, avilissants, d’humilier des êtres humains, de les mutiler, de les asservir à des automatismes ou à des contraintes arbitraires, ou encore d’accroître la laideur qui peut exister dans le monde.

B - LES RITES

Il paraît extrêmement difficile de définir le terme " rites ", car :

1°) les définitions données dans les différents dictionnaires (de philosophie, de sociologie, de psychologie, des religions etc.) ou par différents auteurs qui ont étudié ce problème, sont variées et difficilement conciliables entre elles.

2°) les domaines où interviennent des rites sont extraordinairement divers et complexes.

3°) il est difficile -et pourtant nécessaire- de distinguer la notion de " rites " d’autres notions très voisines telles que celles de " coutumes ", " usages ", " traditions ", voire " manies ".

Nous nous efforcerons :

- d’éclairer d’abord la notion générale de rite,

- puis de préciser le sens que l’on peut donner à " rite " dans deux acceptions différentes qui semblent importantes l’une et l’autre.

B.1 - De façon générale, qu’entendre par " rite " ?

Dans l’extrême diversité des rites et les emplois si variés de ce terme, on peut quand même dégager, semble-t-il, un certain " air de famille ", une " analogie ".

Tout rite est :

- un comportement stéréotypé, de caractère répétitif (dans le rite un schéma plus ou moins immuable se répète ou, du moins, est destiné à se répéter) ;

- un cérémonial -généralement collectif, plus rarement individuel - obéissant à certaines règles, donc codifié, quelques fois institutionnalisé, voire imposé par le groupe social ;

- enfin un cérémonial dont la justification ne paraît pas relever d’explications immédiatement empiriques (c.a.d. non immédiatement commandées par les nécessités de l’existence matérielle).

Voilà, me semble-t-il, les quelques éléments que l’on peut retrouver, avec des dosages variés, dans toutes les sortes de comportements rituels.

Mais, à partir de ce socle commun, se greffent, selon les divers contextes, d’autres éléments très importants qui vont différencier plusieurs genres de rites ; je retiendrai deux cas principaux :

- le rite dans les sociétés " traditionnelles " (appelées encore " archaïques " ou " primitives ") ; il s’agit du rite étudié en ethnologie.

- le rite au sens actuel du terme dans nos sociétés modernes (occidentales).

B.2 Le rite dans les sociétés " traditionnelles "

C’est dans les sociétés dites parfois " primitives " que le rite se révèle le mieux dans sa spécificité. Car les pratiques rituelles y sont particulièrement abondantes et variées, elles ont une grande place dans la vie quotidienne collective. C’est aussi dans ces sociétés que les rites semblent échapper le plus à des systèmes rationnels de pensée ; mais cette irrationalité, au moins apparente, des rites ne veut pas dire qu’ils sont étrangers à tout système cohérent de représentations : ils sont généralement intégrés aux grandes conceptions mythiques en vigueur dans ces sociétés, ; ils dépendent largement des mythes, ils en sont souvent une sorte de célébration, et, en retour, ils contribuent à consolider les mythes.

La principale caractéristique des rites dans ces peuples, c’est que par eux les hommes s’efforcent d’entrer en rapport avec un monde supra-humain, avec des êtres surnaturels, avec le domaine du sacré ou, -terme plus général encore- du " numineux ", c.a.d. de ce qui apparaît à l’homme comme mystérieux et le dominant, à la fois effrayant et attirant. Les hommes des sociétés primitives cherchent tant à bénéficier des faveurs des forces supra-naturelles qu’à se protéger de leurs menaces. Ils s’efforcent donc soit d’agir sur ces forces ou ces êtres supra-humains et de disposer de leur puissance (et l’on a des rites magiques) soit d’incliner le volonté et la bienveillance de ces êtres surnaturels (et l’on a les rites religieux). Mais dans un cas comme dans l’autre, il faut que les rites utilisés (paroles, gestes, objets) obéissent strictement à des prescriptions codifiées : c’est la condition indispensable pour qu’ils soient efficaces.

B.3 Dans les sociétés modernes, à civilisation hautement technique, le sens du mot " rite " s’est infléchi; l’emploi de ce terme s’est élargi, assoupli. Ces significations nouvelles, éloignées du sens originel, nous intéressent aussi, car " philosopher " c’est chercher à comprendre le monde où l’on vit, le langage que l’on y emploie.

Dans ce contexte moderne, qui est le nôtre, le rite est devenu : " un ensemble de comportements habituels, réglés, presque invariables, constituant une cérémonie en usage dans un groupe qui en codifie les éléments et dont elle renforce généralement la cohésion et la conscience collective ".

Cette portée sociale du rite, bien que très caractéristique, admet cependant quelques exceptions. Les plus étudiées sont les pratiques rituelles obsessionnelles dans certaines névroses. Enfin, ultime élargissement de l’emploi du mot " rite " : il peut parfois désigner des comportements individuels remarquables par leur répétition, leur régularité, où le sujet semble obéir à une sorte de contrainte intérieure (exemple : Victor Hugo écrit : "  Cet homme allait passer, le soir, une heure dans son jardin, avant de s’endormir. Il semblait que ce fut une sorte de rite pour lui de se préparer ainsi au sommeil ").

C’est évidemment dans ce dernier cas que le rite se rapproche le plus de ce que l’on appelle " coutumes ", " usages ", " traditions ", ou même " manies ". Pourtant ces notions ne se confondent pas. Ce qui caractérise et différencie le rite, c’est (je le répète) son caractère :

- de cérémonial réglé

-d’obéissance à des codes sociaux (ou, dans certains cas, à des contraintes intérieures d’origine souvent inconsciente)

- de finalité sociale

- d’absence de justifications directement utilitaires.

Remarques :

  1. Entre les rites des sociétés archaïques et les rites de nos sociétés actuelles, il n’y a pas hétérogénéité radicale. Entre les deux existent des liens : de survivance, de similitude, de remplacement (surtout en ce qui consiste les rites de passage).
  2. A côté des rites des sociétés archaïques et des rites profanes des sociétés modernes, et par rapport à ces deux sortes de rites, il conviendrait de situer des rites religieux modernes, en particulier les rites chrétiens.
  3. Pour éclaire un peu plus la notion de rite, il me paraît utile de donner un aperçu de leur diversité concrète. Je vous propose le panorama suivant :

- rites entourant la naissance, l’initiation, le mariage, la mort.

- rites du lever, des repas, de l’entrée dans la nuit et le sommeil.

- rites des week-ends, des vacances, des saisons, du nouvel an.

- du franchissement de certains lieux, de certaines frontières.

II - LE PROBLEME

Devant cette prolifération des rites, des questions se posent : à quoi servent les rites ? A quoi répondent-ils ? Sont-ils utiles ou non, nocifs ou bienfaisants ?

A - RAPPEL DE QUELQUES THEORIES

(elles concernent surtout les rites au sens ethnologique).

  1. Pour certains, les rites des sociétés traditionnelles sont essentiellement irrationnels et absurdes. Il est vain de leur chercher une fonction. Ils sont une production quelque peu délirante d’une imagination débridée.

Parmi les tenants de cette position, on peut citer :

- plusieurs penseurs des " Lumières " au XVIIIe siècle.

- des représentants du courant positiviste (au XIXe et XX e siècle)

Auguste Comte (cf. sa " théorie des 3 états ")

Frazer ; le " Cercle de Vienne " (Carnap etc.)

2. Toutefois, devant l’universalité des rites, la plupart des autres penseurs qui ont étudié ce phénomène (ethnologues, sociologues, psychologues, philosophes) ont été conduits à attribuer aux rites un sens et une fonction.

Voici quelques unes des théories qui ont été élaborées.

a - Bergson (" Les deux sources... "). Les rites sont issus de la " fonction fabulatrice ". Celle-ci les invente pour remédier à certains risques que l’intelligence, laissée seule, ferait courir à l’individu et à la société. D’elle-même, l’intelligence conduirait à l’égoïsme et, devant l’inévitabilité de la mort et les déficiences de la technique, au découragement. La fonction fabulatrice permet à l’homme de retrouver confiance grâce à des risques magiques supposant l’intervention de puissances supra-naturelles.

b - Freud. Les rites sont essentiellement des réactions suscitées pas l’inconscient

- soit pour lutter contre l’angoisse venant de situations oedipiennes

- soit pour combattre tout sentiment de détresse : pour retrouver la sécurité que lui valait dans l’enfance sa dépendance à l’égard de son père, l’homme adulte se crée des dieux qu’il cherche à se rendre propices par des rites.

- soit pour satisfaire illusoirement ses désirs : les puissances refoulées arriveraient à s’exprimer, mais sous forme déguisée, à travers des rites.

c - Marx. Les rites, éléments de la " superstructure ", seraient des reflets, et parfois des outils, des conflits qui se situent au sein de " l’infrastructure ".

d - Malinovski (1884-1942). Pour l’école fonctionnaliste, dont il est le chef de file, tous les faits ethnologiques (donc les rites) jouent un rôle dans le système culturel d’une société. Les rites pallient les déficiences de l’instinct qui, chez l’homme, n’est pas auto-régulé ; par leurs obligations et leurs interdictions stéréotypées, ils réglementent la conduite humaine et rendent la vie sociale possible.

B. POINT DE VUE PERSONNEL PROPOSE

Les rites me paraissent essentiellement ambivalents. Ils peuvent comporter des aspects tout à fait positifs, avoir des effets fort utiles, et même, sous certaines conditions, se révéler indispensables. Mais ils peuvent aussi se montrer très négatifs et entraîner des conséquences gravement dommageables.

(Bien sûr, dans l’évaluation des rites, il faut se garder de tout ethnocentrisme ; la tentation est fréquente de trouver étrange ce qui nous est étranger !)

1. ASPECTS POSITIFS

A. D’abord, on peut se demander si au plan de l’efficacité visée les rites atteignent le but explicitement poursuivi ( ce qui est tout autre chose que l’obtention d’un résultat ).

1° S’il s’agit des rites ethnologiques, en usage dans les sociétés traditionnelles, je crois que la réponse doit être, pour une grande part, négative. Car ces rites sont trop marqués par l’irrationalité ; ils sont parfois abracadabrants et absurdes. Leur fondement est aussi trop incertain, et dépourvu de garanties scientifiques. Ils sont fondés en effet :

- soit, pour une grande partie d’entre eux, sur des mythes. Or, ceux-ci, tout en attestant chez l’homme un besoin de s’élever vers une transcendance et de donner un sens à son existence, sont des tissus d’affirmations invérifiables et souvent invraisemblables.

- soit sur le symbolisme : or celui-ci, même accompagné des paroles et des gestes prescrits et soi-disant sacrés, n’est pas une assurance d’efficacité.

 

Toutefois, cette première affirmation doit être nuancée. Dans certains cas, exceptionnels, des rites ne se " contentent " pas de symboliser ce qu’ils prétendent produire, mais ils le " réalisent " en quelque sorte : ainsi les rites de l’initiation qui confèrent à l’adolescent un nouveau statut social, le transforment effectivement à travers les épreuves qu’il doit traverser.

Enfin, même quand il n’y a aucun lien entre les rites pratiqués et le but poursuivi, celui-ci peut cependant, parfois, être atteint, mais à titre de résultat obtenu par de tout autres facteurs que la prétendue efficacité des rites.

2° En revanche, s’il s’agit des rites établis en vue de telle ou telle fin dans nos sociétés modernes, le lien entre le rite institué et le but poursuivi est généralement plus réfléchi, plus rationnel, plus technique, et donc le taux de réussite des rites (= d’obtention de la fin visée ) est nettement plus grand. Il n’est jamais total, car, dans ce domaine, de nombreux facteurs interviennent ( les libertés humaines, les erreurs et les maladresses dans le choix des rites utilisés etc...) qui interdisent tout espoir d’efficacité absolue.

B. Si l’on fait abstraction des buts explicitement visés dans les rites pour ne s’en tenir qu’à leurs résultats effectifs, on peut reconnaître, me semble-t-il, que les rites, du moins certains d’entre eux et à certaines conditions, ont des résultats heureux, utiles, voire nécessaires, et donc qu’il est indispensable qu’il y ait des rites.

1. Ces résultats positifs apparaissent d’abord en ce qui concerne la vie sociale : les rites contribuent à la constitution d’un tissu social;

- Ils expriment et favorisent la solidarité, la convivialité, le sentiment d’appartenir à une même communauté.

- Ils sont un des éléments qui forgent l’identité du corps social et un des signes qui manifestent l’appartenance à un groupe : ainsi les rites de politesse sont en général propres à chaque groupe humain, ils permettent la communication à l’intérieur de celui-ci ( à l’inverse, ils peuvent être source de difficultés lorsqu’on se trouve dans un groupe étranger dont on ignore les règles de politesse qui lui sont propres ). Cette fonction des rites est tellement forte que ceux qui veulent échapper aux rites de leur groupe parce qu’ils les jugent arbitraires, surannés, sont vite amenés à recréer entre eux d’autres rites pour parvenir à un mode de communication qu’ils estiment plus authentique.

A ce propos, il est sans doute illusoire de croire que l’on pourrait parvenir à un système de rites absolument universel : les rites sont trop liés au génie propre de chaque peuple.

- Les rites contribuent aussi à enraciner une société dans son passé, à souligner sa pérennité, et ainsi à conforter sa conscience collective. C’est en particulier le rôle des célébrations commémoratives.

(A cause de cette importance sociale des rites, l’autorité doit sans doute se préoccuper de la maintenance et de la qualité des rites).

2°) Un autre résultat positif des rites est qu’ils " qualifient " le temps vécu, ils le rythment, et ainsi ils nous permettent d’échapper à la banalité des jours, à l’écoulement monotone d’une existence uniforme et grise.

3°) Enfin je crois personnellement que beaucoup de rites expriment que la vie de l’homme est ouverte sur plus grand qu’elle et ils mettent en rapport avec ce qui dépasse l’homme individuel (le sacré pour les uns, la société pour d’autres...)

 

2 - ASPECTS NEGATIFS

Les rites sont ambivalents. A côté des aspects positifs que nous venons de reconnaître, le monde des rites comporte aussi des aspects négatifs, parfois gravement dangereux.

a. D’abord le rite peut s’arrêter à lui-même, devenir une fin en soi. Il se fige alors en un geste stéréotypé dépourvu de vie et de sens. C’est le ritualisme.

b. Le rite peut aussi bloquer le progrès, l’innovation. Au nom du respect de rites traditionnels (parfois dépassés, déphasés...) on condamne toute nouveauté, tout changement. C’est alors le règne du conservatisme, des intégrismes de toutes sortes. Mais, autre inconvénient, par réaction contre ces blocages, d’autres, tombant dans l’excès inverse, évacuent tout point de repère...

c. Il existe des rites d’exclusion des étrangers.

d. Des rites plongent parfois dans le grotesque, dans la laideur.

e. Plus grave, des rites conduisent à des comportements inhumains, dégradants, où s’assouvissent les penchants les plus irrationnels et les pulsions les plus agressives de l’homme. Par exemple :

Certes, il y a des degrés très divers. Mais on est arrivé parfois (trop souvent) à des comportements aberrants, indignes, et même ignobles, sans doute sadiques dans certains cas ; des séquelles graves en ont résulté pour certains jeunes au plan nerveux, psychique, ou moral.

On y trouve des éléments, parfois combinés :

- d’obscénités : les " messes noires ", les prostitutions rituelles

- de profanation : de ce qui est sacré aux yeux de l’ensemble des hommes (profanation de tombes, de cadavres etc...)

- de violences, parfois extrêmes, allant jusqu’à des " meurtres rituels ", des suicides collectifs rituels...

f. Enfin on pourrait ranger parmi les rites négatifs (ayant une signification pathologique et des effets destructeurs) le cérémonial rituel des névroses obsessionnelles. Les gens qui sont atteints de cette forme de névrose sont poussés par une force compulsive irrésistible à des comportements indéfiniment répétitifs (et irrationnels) : vérifier, compter, toucher etc... à n’en plus finir.

Sans tomber dans de tels excès, des gens cèdent à certaines manies, par exemple à un certain cérémonial avant de se coucher ou d’entreprendre un voyage.

CONCLUSION

Etant donné qu’il est utile, voire nécessaire qu’il y ait des rites, mais que ceux-ci sont guettés par des déviations parfois très graves, il convient donc de parvenir à un bon usage des rites. Il faut s’en servir avec bon sens, souplesse et liberté. Il faut maintenir des rites et ne modifier ceux qui existent et qui se montrent respectables qu’avec circonspection. En revanche il ne faut pas perpétuer ceux qui seraient maintenant privés de signification, et il faut écarter résolument ceux qui portent atteinte à l’homme et à sa dignité.

 

APPENDICE : LES RITES CHRETIENS

En réponse à des questions qui m’avaient été posées, je voudrais dire deux mots au sujet des rites chrétiens, ou, plus exactement des rites de la religion catholique.

Il ne peut être question, bien sûr, que d’effleurer le sujet !

D’abord pour qui ne partage pas la Foi chrétienne, les rites catholiques seront nécessairement et logiquement analysés comme tous les autres rites. Ils apparaîtront comme un effort des catholiques pour entrer en relation avec le Dieu auquel ils croient, de même que les hommes des sociétés traditionnelles s’efforcent d’être en rapport, dans leurs rites, avec les êtres surnaturels de leurs croyances. Ou bien, comme les rites profanes dans la société civile, les rites religieux paraîtront contribuer à assurer la cohésion de la communauté chrétienne et la fidélité de sa mémoire collective. Enfin, vus de l’extérieur, ces rites pourront paraître parfois énigmatiques, déconcertants, bizarres.

Pour celui qui a la Foi, qu’en est-il ?

D’abord il affirme qu’il y a quelques rites essentiels, indispensables : ceux qui constituent " le noyau dur " des sacrements. Pour le croyant les sacrements sont des " signes sensibles " (c.a.d. des ensembles de paroles et de gestes perceptibles et signifiants) qui produisent effectivement ce qu’ils signifient parce qu’ils viennent du Christ. Ainsi, parce que celui-ci a dit " Pardonnez les pêchés, ils seront pardonnés ", on croit qu’une personne à qui un prêtre dit " Je te pardonne tes pêchés " est réellement pardonnée par Dieu (si du moins elle est dans les dispositions intérieures requises, car, en ce domaine, il n’y a pas d’automaticité mécanique : les sacrements ne sont pas de la magie).

Autour de ces quelques rites essentiels, immuables ", se sont peu à peu agglutinés de nombreux autres rites, surtout après le 1er siècle. On a ajouté des rites et des prières, parfois empruntés à des liturgies plus anciennes. :

- pour déployer, dans la durée, la richesse complexe de chaque sacrement ;

- pour préparer à la réception des sacrements ;

- pour soutenir et nourrir la Foi et la prière des chrétiens ;

- pour aider les chrétiens à s’unir à Dieu dans toutes les circonstances de leur vie ;

- pour rappeler les principaux faits de la vie du Christ, ou de certains saints.

Dans le foisonnement de rites qui s’est ainsi établi, tout n’est pas sur le même plan :

A quelque niveau qu’ils se situent, ces rites doivent toujours être l’expression d’une attitude intérieure sincère, d’une recherche d’Alliance aimante avec Dieu, et ils doivent toujours s’accompagner d’attitudes fraternelles envers les autres.

Mais, bien sûr, la manière concrète dont ces rites sont vécus - par des hommes qui ont leurs limites et leurs faiblesses - est souvent imparfaite. De nombreuses déviations peuvent exister :

- soit le ritualisme (: croire que tout réside dans l’accomplissement matériel impeccable des rites)

-soit la tendance à la superstition et à la magie (on pense pouvoir acheter les faveurs de Dieu par tel rite, au lieu de tendre, avec le secours des rites, à mieux nous donner à Dieu)

- enfin, chez certaines personnes plus ou moins névrosées, leur état pathologique peut s’exprimer dans le registre des rites (ou des sentiments) religieux. Cela n’autorise pas à affirmer, comme l’a fait Freud, que toute la religion n’est qu’une névrose collective. Mais il est sûr que certains gestes, apparemment religieux, ne sont que (ou : sont surtout) le support d’un déséquilibre psychique.

Aussi, dans la communauté chrétienne, un effort permanent doit être fait pour que la manière de vivre les rites se purifie sans cesse et soit vraiment authentique.

 

 

THEME : RITES ET TRADITIONS

 

Ce thème a été choisi pour être en lien avec le contenu principal de cette réunion : fêter le premier anniversaire des Cafés des philosophes à Bourbon l’Archambault. Ainsi que cela " doit " se faire, cette " commémoration " sera marquée par le " traditionnel " gâteau avec bougie et le non moins traditionnel vin blanc mousseux.

Tous les " habitués " étaient présents, chacun voulant montrer par sa présence son attachement au " rituel " mensuel du 2ème dimanche après-midi consacré à la réflexion, à la philosophie si l’on accepte la définition proposée par l’un des participants : " philosopher, c’est actualiser la question ".

Et pour ne pas y déroger, avant les agapes, tout le monde eut à coeur de débattre, même brièvement, des rites et traditions.

On établit d’abord une distinction entre rites et commémorations. Contrairement aux premiers, les secondes sont liées à des dates qui marquent l’histoire d’une société précise, d’un groupe bien défini : le 14 juillet, le 8 mai, le 1er mai, etc. pour les Français. Mais il est incontestable que ces commémorations s’accompagnent de rites, c’est-à-dire de gestes codifiés, répétés à l’identique d’années en années.

Quelqu’un évoqua les rites du quotidien, ces gestes de l’habitude qui rassurent, qui peuvent être différents d’un individu à l’autre, mais qui ont toujours la même fonction : donner de l’équilibre, des repères.

En même temps que l’on fait la différence entre les habitudes et les rites du fait de la notion de solennité qui accompagne ceux-ci, l’on évoque la désacralisation des gestes quotidiens tels que se nourrir, se laver.

On fit alors la distinction entre rites païens et rites chrétiens, entre traditions profanes et traditions religieuses. Plus on remonte dans le temps, plus les rites ont un caractère sacré. mais on s’accorda à dire que rites et traditions ont vocation à évoluer. S’ils se figent ils meurent. C’est même le cas dans les rites religieux, et en particulier chrétiens. Ils ont changé après Vatican II à cause de la réforme de calendrier. Dans la tradition chrétienne on distingue les rites dits " durs " qui ne changent pas (par exemple le mystère de l’Eucharistie pendant la messe) des rites " secondaires " qui évoluent.

La question de la cérémonie qui entoure le rite est évoquée : c’est-à-dire la place, la nécessité pour certains, des initiés, de ceux qui savent, pour transmettre aux autres, à la foule, aux fidèles, un message, et donc le besoin pour les uns et les autres d’utiliser et de comprendre un code commun.

Question : tout le monde peut-il profiter d’un rite ? Faut-il un apprentissage ?

Une réflexion : avant, les hommes étaient plutôt dans les impressions, les sensations. Maintenant, on irait vers plus de codage, vers une intellectualisation des fêtes.

Voici la remarque, sous forme de question, d’une personne qui n’est pas venu à cette réunion parce que les rites, cela lui fait immanquablement penser à l’excision ou tout autre rite horrible. Tous les rites sont-ils honorables ?

Il fut fait mention des rites d’initiation, plus ou moins violents, de certaines tribus.

On s’interrogea sur la relativité des morales, des pratiques, des traditions et de leur poids selon les civilisations auxquelles elles appartiennent. On évoqua même la notion de subjectivité à propos du bien et du mal.

Une autre question : les exclus d’une société ont-ils aussi été exclus des rites ?

Citation de Christianne Singer : " Le rite le plus cruel est de ne plus en avoir ".

Quelqu’un évoqua les travaux du Dr Delassus. Ce médecin " maternologue " étudie les carences de comportements maternants chez de jeunes femmes démunies des gestes élémentaires, par exemple dans des situations de conflits, de catastrophes.

On finit encore sur une interrogation : qu’est-ce que l’homme vise dans le rite ?

retour à la listes des sujets