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Où il est question d’un jeu qui donne du fil à retordre...

Gentes dames, gentils damoiseaux ,

 

Voici maintenant un grand moment puisque vous allez assister à la création d’un nouveau jeu. Que dis-je ? Pas assister, vous allez participer à sa création. Vous pourrez dire, à l’instar de certaines annonces tonitruantes : « J’y étais ! ».

J’ai préféré à un long discours une mise en situation.

 

Je ne vous donnerai les règles du jeu que tout à l’heure, après la préparation nécessaire que je vais maintenant vous expliquer.

Je vais distribuer à chacun d’entre vous quelques brins de laine que vous tiendrez fermement avec votre main gauche, pour les droitiers, avec la droite pour les gauchers. En effet, vous devez garder votre « bonne » main pour la manipulation qui suivra.

Il est bien entendu que celui, ou celle, qui échappera un brin aura droit à un gage !

 

Pendant la distribution, vous aurez quand même droit à un petit discours. Et il n’est pas gratuit, bien sûr. Je veux dire par-là qu’il a un sens, et que son contenu a un rapport étroit avec la finalité du jeu.

 

Je connais certains d’entre vous, aussi me permettrai-je un conseil : n’essayez pas de deviner où je veux en venir ; ne cherchez pas quelles peuvent être les règles du jeu avant de les avoir entendues. Vous vous gâcheriez le plaisir de mon histoire. Laissez-vous porter, emporter dans le flot de paroles, ne résistez pas.

HISTOIRE DE LA LAINE

 

Comme vous l’avez remarqué, la laine que je déroule devant vous est de toutes les couleurs. Enfin, pas toutes les couleurs, mais il suffirait qu’il y en ait une pour affirmer que cela n’est pas naturel. En effet, la couleur naturelle de la laine se situe plutôt dans le blanc sale, parfois noire, parfois même un peu marron, mais jamais rouge ni bleu ni rose. Ainsi nous avons là la preuve de l’action de l’homme dans le matériau que vous tenez dans les mains. Eh oui ! Peut-on aujourd’hui regarder, toucher, étudier quelque chose que l’homme n’aurait pas transformer ? Existe-t-il encore des éléments naturels  dans notre environnement proche ? Même l’eau, même l’air, même la terre sont transformées par l’homme, dénaturées, polluées...

Revenons à nos moutons. C’est bien le cas de le dire pour parler de la laine...

 

On peut bien affirmer que les ovins ne sont nés que pour nous donner leur toison. Il est vrai que nous les mangeons un peu aussi. Mais si l’on ne tient pas compte de ces petits agneaux si doux et si tendres, j’affirme que le but de la vie d’un mouton est de vivre assez vieux pour donner le maximum de laine à ses propriétaires. Et pour ce faire, il a fallu qu’il broute de la bonne herbe, que l’homme, encore lui, a fait poussé dans cette intention.

 

Nous citerons simplement pour mention les quelques facteurs nécessaires à la pousse de cette herbe nourricière : une terre pleine de tous les oligo-éléments indispensables, des pluies suffisantes, qui alimentent les nappes phréatiques, un soleil ni trop présent ni trop absent, une lune qui égrène bien ses quartiers, des saisons à peu près équilibrées qui entretiennent un rythme de repos et de pousse propre à favoriser l’abondance, les crottes elles-mêmes des moutons faisant office d’engrais, et sûrement beaucoup d’autres facteurs dont je ne soupçonne même pas l’existence.

 

Cette vie si bien entretenue se transmet de générations de moutons en générations de moutons. Et ce phénomène aussi, bien connu aujourd’hui grâce aux progrès de la génétique, est lié à de nombreux facteurs. Afin d’aider un peu la nature, l’homme, toujours lui, intervient dans le choix des mâles reproducteurs, dans l’élimination des déviances héréditaires, dans l’amélioration de la qualité et de la quantité de laine fournie par chaque animal. N’a-t-on pas été jusqu'à cloner une brebis pour en obtenir une réplique sans défauts ?

 

Ainsi donc ce mammifère « à poils laineux » se fait tondre pour notre confort et notre plaisir. Mais vous savez très bien que la laine brute, au-delà de sa couleur, n’a pas du tout l’aspect de ce vous voyez là. Il a fallu un gros traitement manufacturier pour aboutir à ce résultat : lavage, filage, calibrage, ajout de produits synthétiques pour renforcer sa solidité, son élasticité, etc. Cela se passe dans de grandes usines, et nombre des tâches sont effectuées par des robots. Souvenez-vous des conflits sociaux d’il y a quelques années. Ces machines ont été construites par d’autres hommes et avec des matériaux tels que le fer, le pétrole, les plastiques ; et elles fonctionnent avec de l’énergie qui est principalement de l’électricité fournie par une centrale nucléaire. Vous avez donc entre les mains un produit qui n’existerait pas sans la fission nucléaire !

Cela fait partie de ces petites choses qu’on oublie facilement...

 

 

Récapitulons : de la laine, des moutons, des hommes, des machines, de l’énergie. L’énergie, les machines, la laine, nous savons maintenant d’où elles viennent. Mais l’homme et le mouton, quels sont leurs origines ? Rassurez-vous, je fais faire court. M. Darwin nous a appris l’origine des espèces, et ce n’est pas le lieu ici de polémiquer à ce sujet. L’évolution, que personne ne met en doute, même pas les gens d’église, nous décrit le passage d’un règne à l’autre : minéral, végétal, animal. Avant le mouton, des reptiles ; avant eux des poissons ; encore avant des herbes et des fougères géantes qui barbotaient dans une mare immense tout autour de la Terre, la « soupe primitive » dans laquelle s’agitait une quantité de petits organismes unicellulaires.

Tout cela s’excitait sur une planète encore chaude qui, heureusement pour nous, connut de grandes glaciations. Cette planète appartient à une galaxie qui, grâce à de grandes dépenses d’énergie, entretient des milliards de soleils comme le nôtre, la plupart entourés de planètes. Des milliards galaxies constituent l’univers. Et tout cela bouge, tourne, s’étire, se transforme, se crée, se désintègre depuis 5 milliards d’années environ. Et pourquoi ? Pour faire un mouton !

 

Oui, mais ce n’est pas tout. Nous n’avons parlé que du passé et de l’immensité.

 

Il nous faut maintenant considérer l’infiniment petit. De quoi c’est fait un brin de laine ? De molécules, elles-mêmes constituées d’atomes. Il y en a des millions au centimètre-carré. Entre ces atomes beaucoup de vide, mais dans chaque noyau d’atome de nombreuses particules. Et tout cela bouge, tourne, s’étire, se transforme, se crée, se désintègre. Petite parenthèse : c’est la même chose dans votre corps, dans chaque centimètre-carré de votre peau, de votre cœur, de vos yeux. C’est la même chose dans la table devant vous, dans les pierres du château, dans les nuages au-dessus de nos têtes. Mais nous reparlerons de cette physique-là au mois de septembre, si vous le voulez bien...

 

Une fois encore, revenons à nos moutons.

 

Si je vous dis tout cela, c’est pour montrer que ce petit brin de laine, que vous tenez amoureusement dans votre main, est le maillon d’une chaîne immense. Il n’est pas plus, ni moins, important que n’importe lequel des autres maillons. Pas de laine sans galaxie ; pas d’hommes sans moutons ; pas de soleil sans particules ; pas de Château des Ducs de Bourbon l’Archambault sans diplodocus !

 

 

Nous allons pouvoir commencer à jouer !

 

La préparation a consisté à vous relier les uns aux autres. A vous relier de manière visible ! Et il ne faut pas franchir un grand fossé pour considérer que nous sommes tous reliés par des liens invisibles, dans le temps et dans l’espace, directement ou indirectement.

 

Le jeu pourrait s’appeler le « MICADO DE LA VIE ».

Vous allez essayer, avec votre main libre, de tirer très délicatement sur un brin de laine pour attirer l’attention de celui, ou celle, qui se trouve à l’autre extrémité. Mais, bien sûr, aucun autre brin ne devra bouger ! C’est là que réside tout l’intérêt de la manoeuvre et que l’on pourra mesurer l’habileté du joueur.

 

Faites quelques tentatives : elles s’avèreront toute vaines ...

 

Maintenant, considérez le cas d’une personne qui sent la tension d’un brin de laine dans sa main. La toile d’araignée devant lui est si dense qu’il lui est impossible de savoir l’origine du mouvement qu’il a perçu. Est-ce quelqu’un qui a intentionnellement tiré sur le fil ? Ou bien est-ce seulement la résultante de plusieurs tractions dont l’origine n’est pas immédiatement décelable ? Un événement est survenu dans la vie de cette personne sans qu’elle puisse en connaître la cause, mais aussi sans que l’on puisse dire que c’est le hasard, puisque la chaine des causes pourrait être reconstituée. Elle est, au moins, parfaitement compréhensible.

 

Examinons à présent le cas d’une personne qui tire un brin de laine avec l’intention claire d’attirer l’attention de telle autre personne, tout à fait identifiée. Qu’elle réussisse ou non, il est évident que le mouvement du brin de laine concerné aura entrainé le mouvement d’un grand nombre d’autres brins de laine, suscitant par là des sensations, des questions, des surprises chez les pesonnes concernées, comme celle dont j’ai parlé il y a une minute. Ainsi, une intention, et l’action qui la suit, auront eu des conséquences, des effets totalement ignorées par celui qui en était l’initiateur.

 

Je laisse le soin à chacun d’échaffauder la théorie, ou la morale, ou les deux, que ce « JEU DE LA VIE » lui aura inspirées.

Et je vous remercie de votre participation.

 

 

                                                          Patrice COLLIER

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