Montespan le 13
avril 1997
CONCEPT
ET REALITE
De nos échanges tâtonnants, en début de séance, se
dégagent les termes suivants :
· généraliser
· abstraire
· nommer
Caractérisant et approchant l’activité conceptualisante.
Une première définition émerge :
Grâce au concept, l’homme atteint une généralité, il
nomme la réalité perçue et, par là-même s’en dégage et s’abstrait du concret.
Avec cette définition vient aussi une question : Le
concept naît-il des acquis successifs de l’histoire de l’humanité ou bien
existe-t-il indépendamment des avatars historiques, comme une présence idéelle
autour de la réalité saisissable par l’activité pensante de l’homme ?
Exemple : L’enfant en train de jouer, interrompt
son activité en entendant un bruit : Quel est ce bruit ? d’où vient-il ?
Cette seule question est révélatrice d’une activité
conceptualisante. L’enfant recherche la cause du bruit. Il manie donc,
de façon innée, le concept de cause.
LA REALITE :
Maya ? Illusion ?
Maya selon les philosophies orientales. Illusion pour
Platon (mythe de la caverne) . Pour la Physique moderne, la matière n’est en
réalité que du vide, une tension entre des énergies.
Le réel est-il ce qu’il est ?
Nous échappe-t-il ?
Les recherches des physiciens, rejoignent-elles les
intuitions des grandes religions ?
Y-a-t-il opposition entre le concept et la réalité ?
Deux attitudes extrêmes :
1) La réalité n’est que Maya, illusion, la «
vraie réalité » est conceptuelle. Pour vivre et survivre il faut s’intéresser
uniquement au concept.
2) Seule
la réalité matérielle est importante et réelle, le non visible n’a aucun
intérêt.
Nous arrivons à une deuxième définition :
Le concept serait le fruit de l’acte par lequel
l’intelligence voit dans l’universel ce que sont les choses et se le dit à
elle-même.
Par rapport au réel tangible, le concept a un caractère
universel.
Exemple : la table réelle : cette table-ci et cette
table-là et toutes les autres ... elles sont réunis dans ma pensée en un
concept unique.
Le concept cherche l’idée de l’objet, non pas sa matière,
mais sa cause formelle. L’idée n’est pas dans la table mais en moi.
Le concept est en quelque sorte plus réel que le réel.
L’idée du concept commun :
Conceptualiser est-ce une faculté personnelle d’organiser
le monde ou bien peut-on avoir des concepts communs. Certains concepts, de
toute évidence, sont partagés en commun à toute une culture, voire toute
l’humanité.
D’autres concepts sont plus complexes, les non-clartés,
les non-accords sont des occasions de rencontrer, de confrontations, de
connaissance (« naître-avec » le concept de l’autre, différent du mien). Ici,
l’actualité conceptualisante ouvre des champs possibles d’expériences humaines.
Forger des concepts communs, c’est une belle activité pour
un café des philosophes !!!
Un regard sur le développement de l’enfant va élargir
notre approche du réel et du concept.
Comment l’enfant entre-t-il dans le réel ? Par la mélodie,
par l’environnement. Il y a tout un dialogue entre l’être humain et son
environnement.
Contrairement aux petits des animaux, où tout est déjà là,
à la naissance, chez l’enfant des hommes une grande partie du cerveau est
inoccupée, ouverte aux gestes et concepts de base qui vont naître
progressivement, très dépendants de l’environnement (interaction entre le
biologique et l’environnement).
Le Dr Delassus décrit comment les enfants du Rwanda ont
grandi harmonieusement dans une société porteuse et cohérente, et comment
depuis la guerre, les mamans de plus en plus démunies et angoissées ne savent
plus comment élever leurs enfants qui deviennent psychotiques, c’est-à-dire
incapables d’entrer dans les concepts.
Un bain humain, un affectif chargé de sens est
nécessaire à l’éclosion de l’activité conceptuelle.
L’expérience sensorielle pure ne suffit pas ; en effet,
les premiers concepts sont pleins d’ambiance, d’affectif, de poésie, portés par
une couleur familiale et culturelle. Ensuite, vient une phase d’abstraction,
d’objectivation, une distanciation qui permet l’accès au monde des concepts.
L’activité conceptualisante est liée à la faculté de
recréer en soi la « similitude » (de même que la digestion est une
re-création en soi des aliments. La carotte devient moi (sinon indigestion =
rejet = non compréhension = ne pas prendre en soi).
L’activité conceptualisante nous donne une Image du
réel, mais pas un contact direct avec le réel.
Il s’agit d’une activité réfléchissante (au sens du
miroir). Réfléchir la nature. Je ne peux pas toucher avec mes sens le concept
de nature humaine ou de table.
Drame et beauté de l’humain qui est amené à dialoguer avec
le réel, à élaborer des mots qui relient le monde réel avec sa densité
et ses particularités au monde universel, celui des concepts.
Amphibie, l’homme évolue dans ces deux mondes :
celui de la réalité matérielle
celui de la dimension spirituelle.
A travers chacun de ses actes, l’homme exprime une
particularité, un accident.
Se dégager du particulier est un mouvement qui nous élève
vers l’essentiel humain universel.
Le concept fait partie de ce processus de généralisation,
il est instrument pour mieux connaître et aimer le réel.